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Les agriculteurs bio prêts à « casser tous les verrous »

Jamais les étoiles n’ont été aussi bien alignées pour que le secteur du bio labellisé prenne son envol en Martinique. Le jeune Groupement régional des agriculteurs bio de Martinique (Grab) y croit et travaille pour cela, avec ambition, mais sans prétention.

 

Loin du pessimisme affiché par de nombreux secteurs économiques, les agriculteurs labellisés bio affichent un sourire empli de promesses. Ils croulent sous les difficultés, la tempête Matthew en dernier lieu, mais ils n’ont jamais été aussi optimistes pour l’avenir de leur filière.

 

« C’est un boulevard que nous avons devant nous. La donne a changé. La santé est devenue une priorité pour les consommateurs » lance Léon Tisgra, pionnier de Fonds-Saint-Denis, labellisé depuis 2000. À l’époque, la Chambre d’agriculture le traitait « d’utopiste, voire de fou ».

 

Aujourd’hui, un conseiller spécialisé travaille à plein-temps sur cette filière dans cette même Chambre d’agriculture, Jean-Marc Justine. Il raconte : « Le nombre d’agriculteurs labellisés augmente rapidement. Toutes les semaines, j’ai deux ou trois agriculteurs qui veulent se convertir ou bien entrer dans le métier, mais en bio. » Bien sûr, les chiffres ne représentent « qu’une goutte d’eau » à l’échelle du monde agricole martiniquais, mais la tendance de fond est importante et pourrait être pourvoyeuse d’emplois. « Toute ma famille travaille autour de l’exploitation » rappelle Léon Tisgra. « En tout, une centaine de personnes gravite, au niveau de toutes les activités : le gîte, la restauration, les randonnées, la transformation, etc. »

 

Malike Malsa, jeune producteur de Sainte-Anne, pense aussi que c’est une agriculture d’avenir. « Notre rôle est désormais de tout organiser : les moyens humains et matériels, les techniques de production. Nous n’avons aucun référentiel sur nos cultures! »

 

QUELLE ORGANISATION POUR L’AVENIR

C’est bien connu : les agriculteurs bio ont toujours été divisés en Martinique. Aujourd’hui, deux groupements fonctionnent : Paysans bio Matinik et le Groupement régional des agriculteurs bio de Martinique (Grab). Créé en 2015, de direction collégiale, le Grab compte bien fédérer un maximum de personnes et regroupe déjà 21 producteurs (sur les 48 certifiés).

 

Il n’hésite pas à casser les codes : ses agriculteurs bio discutent sans complexe avec des industriels comme Denel et soutiennent sans ambages Michel Blondel La Rougery, producteur de bananes (voir par ailleurs)… Les milans et coups bas, ils n’en veulent plus et s’affichent tous ensemble à la ferme Perrine ou à Schoelcher, mais aussi sur les réseaux sociaux. Le Grab a d’ailleurs été accrédité par la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) et compte beaucoup sur ce partenariat. L’une des têtes pensantes du Grab, Christian Ducalcon, est actuellement à Paris pour rencontrer les dirigeants de la FNAB, ce que Léon Tisgra a déjà fait il y a quelques semaines : « Maintenant, ils nous connaissent! » assure Léon Tisgra. Le Grab a bien l’intention de travailler dur ces prochaines années et avec tout le monde : la Chambre, la Daaf, l’Imafhlor, la Fnab, etc. Un de ses objectifs : créer une organisation de producteurs (OP) uniquement bio. « Il faut que nous puissions parler d’une même voix, avec le même langage » avance Léon Tisgra.

 

Des voix ne soufflent pas en ce sens. Certains préconisent plutôt que les agriculteurs bio restent dans des OP conventionnelles, qui développeraient chacune une section bio. Les responsables du Grab ne pensent pas que cela soit une bonne option. « Tous les agriculteurs ne pourront pas s’adosser ou rester adossés à leur OP » pense Malike Malsa. « Certaines n’ont absolument la logique qui prévaut dans le bio. Par exemple, la plupart des agriculteurs bio veulent continuer de privilégier la vente directe. »

 

Les discussions dans le secteur ne font que commencer. « Au final, c’est la population qui va nous pousser et faire évoluer notre filière » conclut Léon Tisgra. « Le bio en Martinique aujourd’hui veut casser les verrous » ajoute Christian Ducalcon. « Tous les verrous. »

 

 

Jouer collectif pour prétendre aux aides

Si les agriculteurs bio veulent s’organiser entre eux, c’est aussi pour être concerné par les aides Poséi.

 

L’Odeadom (Office de développement de l´économie agricole des départements d’outre-mer.) l’assure, par la voix de Valérie Gourvennec, la cheffe de service des productions de diversification : « Nous sommes à l’écoute des professionnels. Ce sont eux qui vont guider les plans d’action qui sont actuellement en discussion. » Depuis toujours, de nombreux agriculteurs bio se méfient de l’Odeadom, accusé de ne s’occuper que des grandes filières, banane en tête. Interviewée, l’Odeadom affirme sa volonté d’aider franchement la diversification et le bio en particulier, même si les aides, bien que plus élevées, sont actuellement calquées sur le conventionnel.

 

« Nous avons élaboré des stratégies de filières en novembre 2015 » explique Valérie Gourvennec. « Ce sont elles qui sont actuellement déclinées en plans d’action sous le pilotage de la direction de l’Agriculture. Nous n’avons pas de préférence sur les produits, c’est localement que les listes sont dressées »

 

800 À 500 EUROS LA TONNE

Il y a quelques années, l’aide à la commercialisation pour le bio est montée à 800 euros la tonne. C’est à ce moment-là que les gros appétits se sont formé s : certains agriculteurs ont voulu sauter le pas, comme José Souraya, qui produit des goyaves roses pour Denel (voir par ailleurs) ou, avec une autre logique, l’habitation Lareinty qui s’est mise aux mangues AB (visibles en supermarchés durant la saison).

 

À la Réunion, qui est le plus avancé des DOM sur le bio, l’effet d’aubaine s’est rapidement fait sentir. Les producteurs de chouchous, notamment, étaient en passe de manger toute l’enveloppe disponible. Le prix à la tonne a alors été revu à la baisse : il est aujourd’hui de 500 euros, quelle que soit la production ou presque. En 2015, l’Odeadom a versé des aides à hauteur de 87 000 euros sur notre département, correspondant à 108 tonnes de produits, principalement pour les oranges bio (77 tonnes). Il faut dire que la grande difficulté pour les producteurs bio voulant postuler à l’aide Posei est qu’elle s’adresse uniquement aux structures collectives. Un producteur seul ne peut y avoir droit, il doit passer par une OP.

 

Léon Tisgra, lui, ne doute pas que quand les agriculteurs bio seront bien organisés, l’Odeadom suivra. Sans aucune animosité à l’égard des producteurs de banane, il affirme : « Ils sont très bien organisés, c’est normal qu’ils arrivent à obtenir beaucoup d’aide! Il n’y avait personne d’autre en face. Quand notre production sera bien organisée, nous aussi aurons beaucoup plus d’aides. »

 

Un programme de formation adapté

La Chambre d’agriculture a engagé un vaste programme de formation, suivi actuellement par 16 personnes, déjà en conversion ou bien ayant l’intention de se convertir. « Cette formation tourne autour de trois volets : un volet technique, un volet sur la gestion d’une entreprise agricole et un volet commercialisation et valorisation des produits » confie Jean-Marc Justine, conseiller spécialisé. « Nous souhaitons qu’ils soient véritablement aguerris car une exploitation agricole, c’est une entreprise. »

 

La Chambre d’agriculture programme une nouvelle session de formation qui devrait débuter en 2016.

 

Les chiffres du bio

 

Écrit par C. Everard – France Antilles